Le 49 alinéa 3 : Le défibrillateur d'une politique gouvernementale

    Mardi, donc à l'heure où cet article est écrit hier, le gouvernement Valls a fait savoir qu'il engageait devant l'Assemblée Nationale sa responsabilité, par la procédure de l'Article 49 alinéa 3 pour le vote de la loi Macron, loi très controversée dans le monde politique tant à droite qu'à gauche visant dans ses objectifs à relancer l'économie française. On peut légitimement se demander ce qui peut pousser un gouvernement qui pourtant a la majorité assurée à engager une telle procédure sur un projet de loi émanant de lui-même. Mais déjà quelle est cette procédure ? 

Imaginons un Grand Conseil des singes où le Chef de la Tribu désire passer une nouvelle réglementation sur le commerce de la banane dans la jungle. Cependant il sait pertinement que l'honoralbe assemblée de tous les plus éminents singes y est hostile, y compris la majorité qui le soutien ordinairement. Théoriquement donc s'il devait demander un vote classique, la loi ne passerait pas. Or notre Chef a plus d'un tour dans son sac et on ne va pas lui apprendre à faire la grimace (qu'il ferait surement si sa loi ne passerait pas) ; dans la Grande Loi régissant la tribu, on trouve une disposition lui permettant de remplacer le vote de la loi par un vote de confiance. Autrement dit, il outrepasse le vote normal (oui ou non) de la loi et offre la possibilité dans les 48h d'effectuer par le Grand Conseil un vote d'adhésion à son gouvernement ou de défiance (où il a la majorité des singes le soutenant). Et puisque tout être normalement conçu fut il un singe ou un humain ne va pas voter contre son camp (sinon ça porte un nom c'est le suicide), la loi sera adoptée d'office ; et si motion de censure il y a, il est peu probable que cette dernière soit votée. 

On aura compris le mécanisme de cet disposition constitutionnelle, qui finalement demande un vote sur le gouvernement plutôt que sur sa politique. Mais pourquoi l'utiliser ? Que reflète donc cet usage d'une diposition considérée comme forte, et même assimilée à un "passage en force" ? Premièrement pourquoi est-ce un passage en force ? 

Ce qu'il y a d'insidieux dans cette procédure est que l'on demande aux parlementaires de voter, mais finalement on se doute déjà du résultat. On peut le redire, il est rare qu'un parlementaire vote contre son camp, notamment quand on sait qu'il y a des consignes de vote, et que le parti, quel qu'il soit, a une ligne idéologique à tenir. Un parlementaire sain d'esprit et content de sa place à l'Assemblée ne remettra jamais en question les directives de ceux qui lui ont permis d'arriver là où il est aujourd'hui. D'autant qu'il sait pertinement que voter la mention de censure serait forcer le gouvernement à présenter sa démission, et conséquement à cela on pourrait aller vers une dissolution de l'Assemblée Nationale. Trop de complications me direz-vous ! Pourquoi ne pas faire simple ? Mais ça l'est déjà : ou vous accordez votre confiance au gouvernement, en votant finalement pour lui et pas pour la loi ; ou vous précipitez sa chute et vous pouvez être sur que vous suivrez. C'est donc un passage en force, ce qui porte tout de même un coup à notre idéal démocratique puisque les représentants du peuple sont censés voter la loi, pas dire si oui ou non ils veulent conserver le gouvernement. 

Et puis ce qui est fâcheux là dedans c'est que finalement cette loi sera votée sans avoir été votée : étant donné que s'il n'y a pas de motion de censure dans les 48h, elle est considérée comme adoptée. Finalement au lieu de partir du postulat qu'elle peut être rejetée autant qu'elle peut être adoptée, on considère d'office que celle-ci a gagné la partie. Le gouvernement est alors en effet bien dans une situation de domination, lançant avec son 49a3 un défi à l'entière Assemblée des représentants du peuple. 

C'est donc purement et simplement un passage en force permettant de rappeler au député qu'il peut bien crier de toutes ses forces dans l'hémycicle cela ne changera rien : lorsque le vrai affrontement entre plusieurs modes de pensées arrive, dépassant la logique partisane et recentrant le débat sur les arguments de chacun, il n'y a plus de place que pour le courage politique face à la volonté inplacable des gouvernants. Mais il faudrait encore que celui-ci existe...

Seconde question à laquelle il nous faut répondre maintenant que nous avons caractérisé ce passage en force : quelles sont ses conséquences ? Quelle image donne-t-il donc et finalement que laisse-t-il entrevoir sur la réalité du système démocratique actuel ? 

Parce qu'en définitive ce procédé est très peu démocratique : les représentants du peuple, n'ont pas l'occasion de voter la susbtance même de la loi. Ce n'est en effet pas celle là qu'ils votent, mais simplement une mesure que l'on y a ajouté et qui pourtant est lourde de conséquences qui n'ont rien à voir avec l'objet de la loi. Il y a de fait disproportion des moyens employés, car on fait pression sur la fidélité des représentants du peuple avec une mesure qui créerait des remous dans la classe politique, pour qu'ils adoptent une loi censée être faite pour le peuple. L'observation que l'on peut alors soulever est "va t-on dans le sens d'une désacralisation de la loi". Car en effet, si pour n'importe quel projet de loi on peut faire un passage en force légal, dans le sens où la loi est au même statut que toutes les autres lois déjà promulguées alors que théoriquement elle n'a même pas censée avoir été votée définitivement comme toutes les autres lois conventionnelles... 

La loi est l'expression de la volonté populaire cependant elle est ici complètement absente et endosse pourtant cette légitimité. On nous ferait donc croire que cette mesure adoptée par l'article 49a3 est une loi alors que ce n'en est finalement pas une ? Machiavel disait bien "gouverner c'est faire croire" me diriez-vous... Et donc une fois que la loi est passée par la confortation du gouvernement au pouvoir, on ne tiendrait plus compte des moyens juridique et technique qui lui ont permis d'aboutir ? On ne tiendrait alors compte seulement des résultats ? Dans ce cas on admet que la fin justifie les moyens... Et l'on perd toute limite et tout repère quand à la justesse de nos actions.. 

Enfin que dire des conséquences de cette mesure quelque peu extrême sur le gouvernement qui la prend ? Lorsque la situation va pour le mieux on ne saurait s'encombrer de telles mesures, car elle ne requiert pas de mesures d'une grande portée pour une grande efficacité, le gouvernement accomplissant son petit bonhomme de chemin et les lois étant votées par tous temps avec une majorité stable et solide. Mais à partir du moment où la situation est dégradée, la nécéssité pour le gouvernement n'est plus de garder le même rythme le long du chemin, mais au contraire d'accélérer un maximum pour garder le cap. Quitte à courir plus vite que nécessaire. 

Ainsi le gouvernement met en place une mesure forte et symbolique, telle l'utilisation de l'article 49a3. Aussi vrai que c'est à leurs actes que l'on reconnaît les grands hommes, c'est à leur politique gouvernementale et les moyens de leur mise en oeuvre que l'on reconnaît les grands gouvernements. Et lorsque ceux-ci prennent des mesures aussi directes et extrêmes, dirigées en vue d'une plus grande efficacité pour leur politique, c'est que la situation pour la mettre en oeuvre est pour eux compliquée. On dit "aux grands maux les grands remèdes", et c'est dans le cas présent l'application concrète de cette citation. 

Voilà pourquoi on peut dire que l'Art 49a3 est le défibrilateur d'une politique gouvernementale quand celle ci est menacée d'un arrêt cardiaque. Il permet pour un temps une ablation de tout caractère démocratique au système, non seulement en étouffant alors l'organe représentatif du peuple, (qui dans tous les cas préfèrera se soumettre plutôt que se démettre avec courage) ; mais aussi en éclipsant la forme juridique nécessaire en temps normal à l'adoption d'une loi.