Nouvelle : L'humanité, les chiottes et mon ivresse

 
Il est deux heures. Je suis las. Je brûle ma vingt-cinquième cigarette et passe outre le nombre de verres que je viens de m’empiffrer. La nuit est tombée depuis bien longtemps. La lune m’éclaire de sa lumière couleur pastis. Je suis seul, un bouquin de Bukowski à côté de moi, une main au verre. Je m’écoeure à défiler les chiasses que les gens postent sur Twitter à l’aide de leur iPhone dernier cri. Les réseaux sociaux : cet amas de merde dont vous et moi faisons partie. L’ennui se fou de ma gueule et me sert une nouvelle coupe. Il manquerait plus que je poste un Snapchat de moi avec ma bouteille, clope au bec en écrivant : « soirée posée » et j’aurais vraiment touché le fond de l’humanité. Si toi aussi tu fais partie de cette même humanité, flingue-toi ou sers-toi un verre.
 
Je fume des roulées. L’Old Holborn jaune que mes amis n’apprécient guère. J’y vois rouge. Saint Emilion grand cru ou cubi premier prix je ne sais même plus mais c’est rouge ! Rien d’extravagant. Le cendar coule à flots. J’ignore si je fume du Bordeaux ou si je bois mon tabac. La confusion m’envahit et mes paroles s’envolent, c’est bien pour ça que j’écrie. Enfin mes paroles… Ce sont mes pensées qui parlent. Vous savez cette inconcevable extase qui se joue de nous. Ivresse ! C’est à toi que je m’adresse. Achève moi maintenant. « D’accord, prend ma main » me dit-elle paisiblement.
 
Je grille ma trentième clope. Direction le frigidaire. Je prends une bière. Non, deux. J’ai aussi pris une bouteille. Promis maman je bois trois fois plus d’eau que d’alcool.
 
L’envie de pisser devient pressante. J’y cours galopant comme un âne. Le chiotte se rapproche mais ma bouteille s’éloigne. Dilemme, ô grand dilemme ! Vous connaissez la légende de buridan… A quoi bon boire si je fais dans mon froc ? C’est alors qu’en débraguettant mon fute, je commence à sourire les yeux rivés sur mon sexe. Le rire m’envahit peu à peu. C’est vrai qu’on est bien lui, moi, tous les deux. À ce moment précis, mes pensées surgissent. Se vider procure une satisfaction intense un peu comme quand on coule un bronze. « Se soulager c’est mettre en perspective son corps pour se connaitre davantage et dépasser le plaisir. Ça rejoint un peu l’hédonisme. ». Et merde, AUX CHIOTTES la philosophie de comptoir ! Mais il est vrai que pisser à sûrement quelque chose d’intellectuel…
 
Titubant sur ma terrasse, je dépucelle une bière et bois à votre sainteté. Et merde, j’ai plus d’eau. Pardon maman, pardon l’humanité.
 
Tendre débauche ! Laisse moi te dire que je t’admire. Mais ne fait pas l’innocente, tu sais nous appâter. A la moindre occasion, l’ivresse nous fait du pieds. Elle nous invite toujours à ouvrir ce bon vieux frigidaire. Laisse moi succomber à la tentation comme les enfants devant ces putains de bonbons. Je ne suis pas différent de vous. Tout le monde a déjà fait cette expérience. Non pas que j’aime me torpiller les poumons ou le foie, mais j’y vois une sorte de plaisir malsain, une sucrerie ! Demain j’aurais la gueule de bois. La cirrhose a peut être raison ! Et alors ? A qui rend-on des comptes ? Le lendemain n’attend rien de nous, il nous enveloppe seulement de sa couverture puante le temps d’un sommeil. J’aime me dire que la vie n’est rien, que les drogues et toutes les formes de vices sont là pour achever ce rien. Je me trompe peut-être. Et alors ? Venez compagnons de dépravation, la vie est une cour de récréation. Et merde, AUX CHIOTTES les moralisateurs, allez tous vous faire foutre ! Laissez nous nos gourmandises.
 
Cinq heures ! Il se fait tard, mes pensées vagabondent.
 
À toi, lecteur, sans doute éméché
 
Ne bois pas mes paroles mais bois à ma santé.
 
Et que le rouge abonde, abonde abondamment
 
Trépigne donc avec moi, virevoltons lentement.
 
Tchin avec nous Jésus, bientôt c’est l’enterrement…
 
…AUX CHIOTTES ! Et tirez la chasse d’EAU cette fois-ci.